AUTOUR DU MONDE // 30 MAI 2017
LE JAPON, terre d'aventure |
AUTOUR DU MONDE - Ah ! Le pays du Soleil levant. Qui n’a jamais senti son imagination s’envoler en entendant ces mots, songeant à mille merveilles et bizarreries nipponnes ? Le Japon est un lieu qui, depuis maintenant plusieurs décennies, est sujet à de nombreux fantasmes, et dont le simple nom fait surgir dans les esprits une foule d’images bigarrées et improbables de sushi, manga, burgers noirs, temples bouddhistes, kimono et bien d’autres encore. Beaucoup d’Occidentaux envisagent cette contrée comme un lieu idyllique, où la sécurité est banale, la délinquance inexistante, les habitants polis, consciencieux et courtois, la nourriture délicieuse, les paysages d’une beauté éblouissante, les appareils à la pointe de la technologie...
D’autres, au contraire, frissonnent en entendant parler de cette chaîne d’îles surpeuplée, dont l’évocation suffit à faire naître d’effroyables idées de catastrophes sismiques, tsunamis, mutations génétiques, enfants épuisés par la pression scolaire, salarymen au regard vide, Hatsune Miku hurlant d’une voix robotisée « Love and Joy » en exécutant une chorégraphie destinée à tuer lors de son visionnage les épileptiques, Pokemon maltraités et exploités par des enfants cruels laissés dans la nature par des parents inconscients…
Que l’on soit un otaku reclus dans sa chambre à regarder en boucle Dragon Ball, suivi de Dragon Ball Z, Dragon Ball Z kai, Dragon Ball GT, Dragon Ball Super, avant d’écouter, pour se délasser, le chef d’œuvre musical que constitue le générique de Dragon Ball Z (qui, pour votre culture générale, répond au doux nom de « Cha-la-Head-Cha-La »), ou un visionnaire incompris persuadé que la fin du monde est proche et inéluctable, le Japon ne laisse personne indifférent : il fascine et intrigue le reste de la planète.
La popularité du pays des sumos réjouit, comme on peut bien l’imaginer, à la fois les agences de voyage et le gouvernement nippon (qui, étrangement, est très bien disposé envers les touristes, mais nettement moins envers les immigrants ayant pour projet de s’installer pour une longue durée). Ainsi, les guides touristiques vous fourniront moult informations essentielles : où trouver les meilleurs ramen de la galaxie pour moins de 100¥ (0,71€), les plus beaux quartiers de Tokyo, les plus sublimissimes temples de Kyoto…
Mais il y a des choses que vous ne verrez jamais figurer sur les brochures vantant les délices de l’archipel japonais. Des choses qui sont soigneusement cachées, des secrets qu’on ne découvre qu’une fois arrivé dans la patrie où naquirent des évolutions technologiques cruciales telles que le papier toilette publicitaire ou le stick à beurre.
Car nous sommes, pauvres âmes simples et innocentes, les victimes d’un terrible complot : tout un pan de la culture nippone nous est dissimulé. J’ai donc décidé, dans mon immense mansuétude, de rétablir la vérité, et de vous dévoiler ce qu’aucun livre, magazine, documentaire, blog ne vous a jamais dit et ne vous dira jamais…
Plantons le décor. Vous êtes donc au Japon, en plein été, déterminé à profiter de vos vacances bien méritées après un an de dur labeur. Vous ne rêvez que de levers de soleil contemplés du haut du mont Fuji, de flâneries le long de la rivière Sumida en yukata et de déambulations paresseuses dans Arashiya, un vent léger faisant flotter votre glorieuse chevelure (ou vos superbes sourcils, si vous êtes chauve), votre peau délicatement caressée par un soleil aux rayons ardents.
Jusqu’à que vous découvriez les gokiburi. De quoi s’agit-il ? vous demandez vous : encore une de ces mignonnes créatures qu’affectionnent tant les japonais, à l’instar des petits lapins et autres chatons dégoulinants de niaiserie ? Naïf que vous êtes.
Non. Les gokiburi ne sont pas de charmants petits bébés panda aux grands yeux humides. Les gokiburi sont des bêtes immondes, l’incarnation du Diable sur terre, la preuve que le Mal absolu n’est pas une légende.
Les gokiburi sont des cafards. Pas les petits cafards de 1 à 2cm auxquels nous sommes habitués dans nos contrées européennes. Nooooon. Le cafard japonais, lui, joue dans une toute autre catégorie. Il mesure environ 10cm (2 ou 3 si vous avez la chance de tomber sur des bébés), et son caractère des plus sociables le pousse à se promener gaiement dans votre logis dans le but d’entamer la conversation avec ses habitants.
La blatte nippone, contrairement à son homologue française, aime la compagnie. Elle ne se terre pas dans les coins sombres et humides, mais prends possession, suivie de sa petite famille et d’éventuellement quelques amis, de votre foyer. Les Japonais sont d’ailleurs manifestement tellement accoutumés à vivre en cohabitation avec ces attendrissantes bestioles qu’ils leur arrivent de parler à leurs colocataires forcés en les surnommant « goki-chan ». Sachant que « -chan » est un suffixe qui montre qu’on a des affinités avec la personne ou qui souligne un côté mignon (ou kawaii, si vous tenez à rester dans le contexte), on ne peut qu’en conclure que les Japonais ont une vision du monde bien à eux.
Autre chose : la phrase précédente aurait du vous alerter. Car l’autochtone, contrairement à ce qu’il tente de nous faire croire en créant divers produits destinés à l’éradication de ce fléau (tels que les chaussons-tapettes), est de mèche avec les ignobles insectes. Toute la société japonaise est organisée de façon à ce que la Bête s’empare de votre maison : les restaurants ouverts à toute heure du jour ou de la nuit, les multiples interstices, et surtout, la très agréable coutume de déposer leurs poubelles par terre dans les rues.
Certes, le ramassage des poubelles est censé être fixe, et la sortie des ordures ponctuelle. Mais il n’en est pas moins vrai que vous trouverez tous les jours des sacs remplis de déchets pourrissant dans les rues. Or, laisser un tas de restes alimentaires en tous genres à l’air libre, c’est l’équivalent d’un autel rempli d’offrandes pour le dieu-cafard revenu des Enfers…
Mais le pire est à venir.
Car au Japon, il est d’usage de dormir sur des futons, soit des matelas posés à même le sol. Ce qui signifie qu’il est très probable que vous trouviez, au réveil, un superbe cancrelat posé sur votre figure, s’approchant dangereusement de votre bouche laissée entrouverte durant votre sommeil….
Le Japon, terre de rêves, donc.
Je vois certains rire derrière leur main, l’air méprisant, tout au fond de la salle. Je sais ce que vous pensez : ce ne sont que des insectes, qu’il suffit d’écraser ! Bien sûr, c’est répugnant, mais pas de quoi s’exciter d’une façon aussi grotesque! Seulement, il y a quelque chose que vous ignorez encore (mais rassurez vous, d’ici quelque minutes, vos lacunes seront comblées et vous pourrez devenir un expert ès blattes japonaises. Ainsi, grâce à moi, vous aurez déjà un boulot tout trouvé dans l’avenir. Ne me remerciez pas, c’est tout naturel.)
Les gokiburi sont immortels. Ou presque. Cela n’est pas étonnant, connaissant leur statut de démons, sachant qu’ils constituent l’armée de Lucifer envoyée sur notre belle planète pour exterminer la race humaine. En temps que dignes représentants des forces maléfiques, les cafards nippons, non contents de slalomer à toute vitesse entre vos pieds, déjouant vos tentatives de meurtre avec un zèle tout à fait remarquable, peuvent voler. Eh oui, au Japon, on n’arrête pas le progrès, et leur prototype de cancrelat a été pourvu d’ailes grâce aux joies de l’Évolution.
Par ailleurs, le génocide à l’arme chimique est tout simplement inenvisageable sur ces monstres chthoniens : alors que vous suffoquerez, le teint rouge et couperosé, les yeux baignés de larmes, les poumons perforés d’une intolérable douleur, la Bête, elle sera à peine ébranlée, ralentissant légèrement la cadence de son pas. Pensez-vous, une créature capable de résister aux radiations nucléaires, d’affronter la bombe atomique et d’en ressortir fraîche et dispose, ce n’est pas votre misérable bombe fluo d’insecticide qui en viendra à bout.
La mort par écrabouillage est elle aussi fort difficile à mettre en œuvre : en effet, un coup de balais ou de savate équivaut pour l’effroyable bestiole à une amicale tape sur l’épaule, et elle continuera son chemin jusqu’à votre frigo pour revenir vous faire la causette quand il lui plaira. Quant à la décapitation… Eh bien, apprenez que les blattes sont largement plus résistantes que toute autre être des ténèbres : ainsi, contrairement au zombie commun, au loup-garou ou au vampire, la blatte survit aisément sans tête ; et si elle finira bien par décéder, vaincue par la soif, après environ une semaine, je ne suis pas certaine que vous ayez réellement envie de partager votre maison avec la version insecte de Sleepy Hollow. Et des fois que l’assassinat par asphyxie vous tente, vous apprendre que les cancrelats peuvent retenir leur respiration durant 40 minutes pourrait bien vous décourager.
Enfin, dites vous bien que si vous avez réussi à renvoyer d’où il vient un de ces soldats infernaux (auquel cas je vous félicite sincèrement et vous conseille fortement d’aller réclamer au Président la légion d’Honneur qui vous échoit de droit), un cafard ne vient jamais seul, et sa charmante famille viendra le venger.
Car oui, sachez-le : l’été japonais ne se passe pas les pieds dans l’eau, en dégustant des pâtisseries à l’azuki accompagnées d’un exquis thé vert, en humant l’enivrante fragrance des cerisiers en fleurs.
Il se passe terré dans sa chambre, les yeux cernés par le manque de sommeil, vivant dans la crainte de représailles démoniaques, suant des litres et des litres sous la lourdeur des 35 degrés de l’été Tokyoïte (car comme si ce n’était pas assez, les habitats nippons sont très mal isolés : ainsi, vous mourrez de chaleur la moitié de l’année et serez transi l’autre moitié), vous nourrissant chichement de quelques onigiri industriels achetés dans le combini store d’à côté.
Bref, vous l’aurez compris, le Japon n’est pas qu’un lieu paisible, peuplé de gens polis et serviables, aux panoramas grandioses : c’est aussi une formidable leçon de vie, vous enseignant le vivre-ensemble, l’acceptation de l’autre malgré sa différence, le partage des ressources, la lutte contre les préjugés et le spécisme étouffant nos sociétés occidentales.
J’ose espérer qu’à l’avenir, nous serons aussi avancés sur le chemin de l’harmonie avec la nature et les autres espèces. Mais pour l’instant, force est de constater que j’ai toujours autant de mal à partager ma chambre avec des insectes noirs gros comme le doigt.
Mais ça viendra.
Marie-Sophie Desmarest
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